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NOTES 793

faute de points de comparaison choisis dans une humanité commune, l'héroïsme des personnages nous blase, si l'on peut dire. Nous ne le mettons plus à l'échelle, et l'auteur est contraint d'indéfiniment renchérir sur le sublime pour que l'intensité de sa tragédie n'aille point faiblissant. Comme à peu de frais Shakespeare sait nous rendre sensible l'exceptionnelle grandeur de Coriolan ! Deux bouts de dialogue entre deux officiers qui rangent les sièges avant la séance du sénat ou entre deux bourgeois qui se rencontrent dans la campagne romaine : il n'en faut pas davantage. Ces courtes scènes sur lesquelles porterait si volontiers le zèle des élagueurs, ne sont en rien des ornements inutiles. Les représentations de l'Odéon nous en fournissent la preuve : la scène la plus grave et la plus lyrique de l'œuvre, celle où Coriolan banni parvient, inconnu, à Antium, Shakespeare nous y prépare par une série de ces scènes épisodiques, comme dans une symphonie une suite de développements nous fait attendre, désirer et goûter enfin avec toute la ferveur qui convient un thème particulièrement noble et délicat. Antoine fit lever le rideau, après un entr'acte, sur les premières paroles de Coriolan. Rien ne manqua de l'affabula- tion, mais toute la grandeur de la scène fut perdue.

C'est peut-être la seule faute qu'on puisse reprocher à cette mise en scène. Le spectacle fut, sans réclame ni vedettes, un des plus beaux qu'on nous eût donnés de Shakespeare, un des plus justes de ton. Malgré l'excessive rapidité de la diction tout lyrisme ne fut pas étouffé. Ceux qui aiment cette pièce entre toutes ont sans doute déploré de n'y pas retrouver certains vers d'une unique beauté, comme celui dont Coriolan accueille sa femme Virginie :

Salut, mon gracieux silence ! Mais c'est déjà beaucoup que les acteurs aient pu, sans déchirer la trame du dialogue, laisser éclater tant de prodi- gieuses images :

L aigreur de sa face fait tourner les grappes mûres ou bien

Les tambours, les cymbales et les cris des Romains

Font danser le soleil !

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