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FERMINA MARQUEZ 769

ardemment dans ce qu'elle appelait le péché. Elle ne se cherchait pas d'excuse : elle aimait un homme et cela voulait dire que son âme était perdue. Elle aimait. Et sa nuit fut si belle qu'elle la vécut entièrement, qu'elle en but avec délice toute les noires minutes, et ne s'endormit qu'au jour.

Ce fut pour elle le commencement des nuits inou- bliables. Comme elle ne pouvait absolument pas fermer les yeux, elle voulut passer toutes les nuits à lire ; et à lire, justement, ces livres profanes qu'elle avait jusqu'alors dédaignés. Elle lut successivement " Petitesses " du Père Luis Coloma, " Maria " de Jorge Isaacs, et quelques-uns des romans argentins de Carlos-Maria Ocantos. Mais elle était trop préoccupée pour accorder à ces auteurs une attention soutenue. Sa lecture était une lutte avec les pages : à tout moment, elle glissait le coupe-papier à l'endroit du livre où elle était arrivée et, regardant la tranche, elle comparait l'épaisseur formée par les pages qu'elle avait déjà lues et l'épaisseur formée par les pages qui lui restaient à lire. Parfois cependant, elle s'oubliait assez pour saisir le sens complet des phrases. Alors elle s'intéressait aux personnages. Les romans étant, pour elle, quelque chose de nouveau, elle ne voyait pas derrière le récit, les artifices littéraires, le déjà connu, les vieux accessoires qui servent partout, et qui finissent par nous dégoûter du passé-défini et de tous les romans du monde. Elle était comme ces spectateurs qui n'ont jamais vu les coulisses, et qui admirent le décor sans arrière-pensée.

Elle se mettait à lire dès qu'elle était rentrée dans sa chambre. Elle s'étendait sur son lit, sans quitter sa robe

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