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rapports de Christine Deslandes avec le patron Delaborde et l’agitateur Rougemont ne sont point de nature à déplacer le conflit, mais seulement à le rendre plus particulier, plus aigu, plus humain.

Voilà donc un roman très bien construit, très fort ; je ne le relirai jamais. Il est plein d’une vie puissante, qui ne se prolonge aucunement en moi ; il abonde en figures nettement tracées, sans qu’aucune s’impose à mon souvenir ; la vérité que j’y admire dans les détails et dans l’ensemble, vérité de journal et vérité d’histoire, me fait rarement éprouver cette impression de justesse parfaite que l’art seul peut nous donner, et qui seule fait la vérité de l’art. Les Rosny nous ont expliqué jadis que les structures complexes et nouvelles déconcertent trop l’esprit pour sembler belles dès l’abord ; un sujet neuf, un sujet rude, un grand sujet, ne comporte pas en effet la sobriété, le raffinement, ni les nuances qu’exige une menue étude de mœurs ou l’analyse d’un cas sentimental. Mais la beauté dont je regrette ici l’absence n’est incompatible avec aucun sujet. Plus apparaît mouvante et variée notre existence contemporaine, plus il importe que chacun de ses aspects essentiels soit cerné d’un trait sûr et précis. Quand, dans une même œuvre, nous trouvons unies la logique la plus ferme et des gaucheries de composition, quand la compréhension des âmes n’y force point la sympathie, quand les images les mieux choisies s’y noient dans une profusion accablante, quand une riche invention verbale nous laisse attendre en vain l’expression nécessaire, — ce n’est pas l’excès de force, c’est l’excès de hâte qu’il faut accuser.

On sait combien une production surabondante use chaque année un peu plus le crédit qui fut accordé d’abord aux frères Margueritte et à M. Paul Adam. Rosny retient mieux son public, car il est plus riche en ressources, et parfois s’applique à les concentrer. Pourtant la balzacienne « volonté de puissance » n’est pas sans le tourmenter aussi ; comme eux il nous contraint à remettre en question les avantages et les dangers de la fécondité littéraire. Et le troublant exemple de Balzac va peser sur tout ce débat : Par souci de perfection formelle, n’appliquons-nous pas aux vivants une mesure qui fut injuste