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JOURNAL SANS DATES 669

qu'elle passait devant moi, vlan ! je reçus du foulard dans la figure ; et le foulard tomba sur mes genoux. J'eusse voulu que ce fût par maladresse et par hasard ; mais non : c'était direct, subit et concerté, discret... C'est ce qu'au même instant je dus comprendre, et je sentis un flot de sang m'éblouir — car ce petit manège s'éclairait au sou- venir d'une chanson que parfois chantait une petite cou- turière qui venait travailler chez nous ; elle chantait cela lorsqu'elle était bien sûre que ma mère ne pouvait pas l'entendre ; j'ai su depuis que c'était tout bonnement la chanson de Madame Angot^ " pas bégueule, forte en gueule " etc ; il y était question, au cours d'un couplet, du sultan qui " lui jeta le mouchoir ". J'entendais bien ce que le geste voulait dire ; évidemment ce devait être d'un usage courant dans certains pays.

Plus rouge encore que le foulard, que je dissimulai pré- cipitemment sous ma veste, je m'efforçai de croire que ma mère n'avait rien vu, et songeais avec suffocations aux suites possibles de mon " aventure "... La fête cependant continuait. Je ne prêtais plus qu'une faible attention aux trémoussements d'un couple de gitans ; mais, au moment que cette nouvelle danse s'achevait en délire et que les applaudissements des spectateurs éclataient, je vis avec stupeur la gitane tout-à-coup quitter la danse, sortir un petit mouchoir de son sein et le jeter non loin de nous sur les genoux d'un vieux daim qui n'applaudissait point, mais, à petits coups de grosse canne, faisait résonner le plancher. Le daim assurément connaissait les usages ; et mon œil ne le quittait plus. Qu'allait-il faire ?

Très calme et souriant, il se saisit du petit mouchoir, fouilla dans son gousset, en sortit une pièce blanche, très

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