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65O LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

à des gens influents, payée en dîners et en réceptions, payée en argent même, c'est la réclame qui est à la base de la célébrité de cet écrivain. Aussi, il sait ce que vaut la gloire ! Un jour, il m'a dit : " Fais-toi des relations, c'est le seul moyen d'arriver. " Comprenez-vous : cela veut dire qu'il méprise sa gloire : elle est, pour lui, un fonds de commerce qu'il exploite et qui lui rapporte tant par an. Il voudrait bien avoir le temps d'écrire pour son propre plaisir, il voudrait bien pouvoir libérer ce qu'il a de génie. Mais il est pris dans l'engrenage : les éditeurs, les direc- teurs de revue, l'accablent de commandes. On ne le laisse pas tranquille. Et lui, il sait que toute sa célébrité est un leurre ; que, dix ans après sa mort, son nom sera tombé dans un oubli profond ; et que même cette célébrité, dont il aura joui de son vivant, le desservira auprès de la posté- rité : car le dédain tombé sur les œuvres de sa maturité, enveloppera aussi ses deux ou trois premiers livres, qu'il a, dit-il, écrits naïvement, avec foi, avec enthousiasme, ses deux ou trois premiers livres qui sont assurément le meil- leur de son œuvre. Il sait tout cela. J'ai quelquefois pensé ; " Pourquoi ne préfère-t-il pas une fortune médiocre, l'obscurité de son vivant, et la gloire posthume, à cette célébrité artificielle et à cet avilissement de son talent ? " Mais un jour, il me donna une terrible réponse à cette question que je m'étais posée. Comme je lui parlais d'une théorie esthétique moderne : — " L'art pour l'art, c'est très joli, " me dit-il, " mais, vois-tu, il faut vivre. " Et il regarda sa femme et ses enfants. Il a perdu même le droit d'être pauvre.

" Au début de ma vie, l'exemple de Julien Morot précise, par contraste, mes instincts. J'appliquerai à ma

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