642 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
l'affectaient comme des injures graves, dont le souvenir le torturait. Mon Dieu, nous ne pouvons pas être bons.
Il attendait la nuit pour pleurer à son aise. Si l'on n'a pas mis votre lit en portefeuille, et si l'on n'a pas glissé une assiette pleine de purée entre vos deux draps, vous pouvez pleurer tout votre soûl. Camille Moûtier attendait que tout le monde fût endormi ; alors tout son chagrin montait dans ses yeux, débordait, et coulait doucement sur ses joues. J'ai souvent prêté l'oreille à ces grands désespoirs d'enfants: on n'entend pas de sanglot, on n'entend rien, sinon, à de longs intervalles, un petit sifflement. Si le surveillant était éveillé, il pourrait croire qu'un mauvais plaisant sifflote.
Aussi, la joie que lui apportaient les vacances était-elle presque trop grande pour lui. Ces vacances ! il jouissait d'elles dans toutes leurs minutes. C'étaient des rendez-vous avec lui-même ; il s'y retrouvait, libre et gai comme avant son entrée au collège. Pour quelques jours ou quelques semaines, il cessait d'être une pauvre chose souffrante et pleurante. Et ses parents, le voyant si joyeux, si attentif à ses jeux, si "enfant", s'attendrissaient sur l'insouciance et le bonheur sans mélange de l'enfance, — de l'enfance telle que Madame Amable Tastu et Victor Hugo l'ont chantée : le meilleur temps de la vie.
Mais l'entrée de Fermina Marquez dans l'existence du collège, enleva beaucoup de leur bonne saveur aux vacances du petit Camille Moûtier. Maintenant il avait trouvé quelque chose à aimer dans son enfer. Dès la première minute il fut certain qu'il n'oserait jamais s'approcher d'elle, qu'il ne serait jamais rien pour elle. Avant même d'avoir été aperçu d'elle, il priait pour elle tous les soirs.
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