FERMINA MARQUEZ 635
ouvrages en bon latin !... Une autre fois, j'ai voulu faire comprendre mes idées à un vieil ami de ma famille, qui me paraissait plus intelligent que le reste de la compagnie. Il s'est mis à rire tout de suite, et m'a dit qu'il avait vu bien des réactionnaires dans sa vie, mais qu'il n'avait jamais rencontré un homme qui fût aussi réactionnaire que moi; et que ce n'était pas beau, pour le fils d'un vieux répu- blicain, d'avoir de ces idées-là. — Parce que, dans l'inté- rieur, ou, comme nous disons, en province, les enfants doivent avoir les mêmes opinions politiques que leurs parents : s'ils y manquent, on les mésestime. Oh ! Made- moiselle, vous ne pouvez pas vous figurer combien l'inté- rieur est encore sauvage ! — Enfin, cet homme riait. Alors, pour l'agacer, je lui ai dit que je me considérais, non pas comme un Français, mais comme un Citoyen romain. J'avais deviné juste : ça l'a mis en colère tout de suite. J'avais dérangé ses pauvres larves d'idées, et elles grouillaient dans son crâne étroit. Il était tout rouge. Comme il me paraissait petit, borné ; il tenait dans ma main ; il s'y trémoussait, comme un insecte qu'on taquine. Je voyais en lui, non pas un homme, mais un produit manufacturé, une machine à dire ce qu'il faut dire et à penser ce qu'il faut penser. Ah ! si jamais je me suis senti supérieur à quelqu'un, c'est bien à cet imbécile ! "
— Oh ! Monsieur Léniot, ce n'est pas bien de parler ainsi ! "
Il y avait un tel accent de reproche dans la voix de la jeune fille, que Joanny se tut, tout décontenancé. Il avait jusque là déclamé, avec le bel aplomb que lui donnait la certitude d'être approuvé entièrement de celle qui l'écou- tait. Et, bien au contraire, la voici qui protestait, à bout
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