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notes 537

EXPOSITION GEORGES ROUAULT {Galerie Druet).

Rouault est aux prises avec la forme comme avec quelqu'un. Il se débat avec elle dans une lutte interminable qui jamais ne devient un triomphe. Il ne cesse d'être auprès d'elle en inquiétude et en sursaut.

C'est qu'il ne la voit pas immobile et parfaite, toujours prête à se laisser caresser, attitude docile à toutes les em- preintes. La forme qu'il considère, n'est pas ce contour des choses que l'on constate avec la paume de la main. Elle est cachée sous l'enveloppe permanente ; elle est repliée au centre de l'être, toute farouche. Rouault d'abord s'attache au modèle, le circonvient d'un travail obéissant, le sollicite de toute son application. Mais ce n'est que pour le provoquer au jaillissement. Et soudain voici s'échapper le geste vif et secret qu'il épiait, la détente intérieure. La forme est devant lui, frémissante, fuyante, semblable à une bête levée, qui détale, qui va avoir disparu tout-de-suite.

Il faut la saisir. Rouault prend de la matière pour l'y fixer bondissante. Immobile il la poursuit, il cherche à se rendre maître de sa fuite, en l'imitant avec les mains. Mais la matière résiste ; elle est toute pleine de prédispositions confuses, d'exigences mal avouées. Elle n'est pas une ductile indiffé- rence, où la forme d'un seul coup, fluide, puisse se tracer. Pour la vaincre il faut, en la violentant, lui obéir. Passionné- ment Rouault la bouleverse, cherchant à mettre au jour celle de ses attitudes spontanées par laquelle elle mimera le mieux la figure disparaissante. Il cerne cette figure, il lui coupe la retraite en renforçant autour d'elle, de tous les côtés à la fois comme des barrières, les grandes lignes naturelles de la matière. De là ces traits, qui ne suivent pas la forme avec exactitude et continuité, mais qui, à force de se redoubler, de se reprendre, de se traverser, la captent parmi leur enlace- ment innombrable.

C'est pourquoi l'image chez Rouault semble toujours appelée du fond de la toile avec des doigts fiévreux ; elle n'est pas tranquillement posée sur le papier, mais elle lui est arrachée

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