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NOTES 4I3

rois, et des empereurs. Le poëte n'obéit plus ; il n'a plus de maître, il n'a plus qu'un public ; les rois même prennent rang dans ce public. Le public ne lui commande pas ; il a par contre pour lui toutes les indulgences; il est l'esclave de sa fantaisie; il va jusqu'à lui permettre de rompre ses engagements ; quand sa fantaisie, après avoir été d'en prendre, est d'y manquer, il n'exige aucun prix de ce dédit.

Le poëte ne voit qu'équité dans cette situation privilégiée qu'on lui accorde. Il estime simple que le bottier soit encore soumis aux exigences d'autrefois, aux mêmes servitudes, aux mêmes lois d'humilité ou de politesse ; et simple aussi de n'être, lui, soumis à ces lois qu'autant qu'en décidera sa délicatesse. Elevé au-dessus des hommes, il ne connaît d'autre maître ni d'autre juge que lui-même — jusqu'au moment du succès... ou de l'insuccès peut-être, car on ne peut jamais tout avoir.

Le poëte d'ailleurs ne méprise personne — du moins on doit le croire — ; il considère simplement que le bottier est d'une autre essence. Mais ce qui est grave, c'est que le bottier, vis-à-vis de lui, accepte de se reconnaître déclassé. Comment en jugerait-il autrement? Dès l'école primaire, on lui montrait le poète comme l'égal du prince — du temps qu'il y en avait — et Molière à la table de Louis XIV ; il n'a jamais pensé qu'aussi bien on aurait pu imaginer au roi la société du maître bottier de Versailles. Depuis, les quotidiens l'ont nourri d'une rhétorique bien propre à l'ancrer dans cette opinion déce- vante. Il découvre alors que certaines œuvres sont nobles et que d'autres ne le sont pas ; que la noblesse ne réside pas dans la perfection du travail, mais dans sa nature. Comment, bottier, peut-il alors considérer sa tâche ; elle est vile à ses yeux ; il s'y voit contraint par des nécessités matérielles et non par des causes plus hautes ; aussi bien aurait-il pu trouver son pain dans quelque autre métier ! — Il pense que le poète seul est voué ; qu'il n'y a vocation que pour des œuvres retentissantes. Bien plus, il pense, que toute vocation, tout sentiment d'une vocation, doit se résoudre en poésie. — Et de là vient, je crois, le désordre du monde intellectuel : quelques-uns, sans doute voués aux bottes, ont cru l'être aux vers...

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