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NOTES 317

Il venait des mêmes courants. Le réalisme sentimental de Dickens, l'impressionnisme psychologique de Dostoïewsky l'avaient touché comme eux en pleine analyse naturaliste et au moment du retour sur elle-même que dut faire chez nous la génération de la défaite. Le romantisme avait épuisé la puis- sance d'illusion qui y conduisit nos pères. Nous étions désor- mais tenus de rechercher ce que nous sommes et de le dire. Les humoristes en ont ri, les moralistes en ont pleuré. Je ne suis pas très sûr que les moralistes en aient souffert autant qu'en ont souffert les humoristes.

L'aveu de Philippe m'ayant paru, jusqu'à Croquignole, le plus poignant, j'ai compris seulement à partir de Croquignole que cet aveu ne différait de celui des autres que par la façon dont il le faisait. Ce n'est pas que Croquignole soit très drôle. Peut-être même est-ce un livre désespéré. Mais il est écrit avec joie, et une joie tellement étonnée d'être de la joie qu'il faut le relire plusieurs fois pour s'apercevoir que c'est bien de la joie, une joie de malade et de pauvre qui découvre dans la maladie et la pauvreté un tas de choses joyeuses. Les roman- tiques faisaient semblant de rire de leur misère même. Là encore ils n'avouaient pas. Philippe avoue que la misère n'est pas drôle, mais il rit ingénument de choses qu'il n'aurait pas aperçues sans elle. Il ne la brandissait pas comme un drapeau, il n'y tenait pas le moins du monde, mais comme il était un pauvre, il profitait de son état de pauvre pour observer ce qu'il n'aurait pu voir s'il avait été un riche.

Pour ce pauvre, l'histoire d'un héritage inattendu ne pouvait prendre que le ton d'une farce épique. Il mit une candeur charmante à raconter cette aventure invraisemblable. La for- tune, pour lui, c'était quarante mille francs, et pour quarante mille francs il n'acheta pas moins de deux longues années de la vie la plus somptueuse qu'il fût capable d'imaginer. Et l'aveu continua, il avait dit ce qu'il était quand il n'avait pas d'argent, il dit ce qu'il pourrait bien être le jour où il en aurait. Ce fut un bavardage intarissable, comme celui d'un enfant. Des mots, des mots, des mots s'ajoutent, mais sous ces mots il y a une telle ardeur de vie, un tel besoin de confidences, que cinquante

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