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��300 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

O "petit bon sujet!" que je comprends ce qui te fit plus tard tant aimer Jude PObscur ! Plus encore que tes dons d'écrivain, que ta sensibilité, que ton intelligence, combien j'admire cette application émerveillée qui n'était qu'une forme de ton amour.

Nous repartons.

Et durant le trajet du retour, je songe à cet article que je lui avais promis d'écrire, que je m'apprêtais à écrire, à l'apparition de son livre que doit donner incessamment Fasquelle — cet article qu'il attendait. J'en fixe en mon esprit les divers points.

La mort de Philippe ne peut me faire exagérer en rien ma louange ; tout au plus en m'inclinant plus tristement vers cette émouvante figure et me permettant de l'étudier mieux (dans les papiers qu'il a laissés) assurera-t-elle en la précisant davantage mon admiration.

Certains l'ont mal connu, qui n'ont vu de lui que sa pitié, sa tendresse et les qualités exquises de son cœur ; ce n'est pas avec cela seul qu'il fût devenu l'admirable écrivain qu'il pût être. Un grand écrivain satisfait à plus d'une exigence, répond à plus d'un doute, nourrit des appétits divers. Je n'admire que médiocrement ceux qui ne supportent point qu'on les contourne, ceux qu'on déforme à regarder de biais. On pouvait examiner Philippe en tous sens ; à chacun des amis, des lecteurs, il paraissait très un ; mais aucun ne voyait le même. Et les diverses louanges qu'on lui adresse peuvent bien être également justes, mais chacune prise à part ne suffit pas. Il porte en lui de quoi désorienter et surprendre, c'est à dire de quoi durer.

André Gide.

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