LETTRES 245
parlé. Enfin, je vais pouvoir causer librement et entendre des choses qui ne soient ni manger, ni économiser, ni chasser. Ecris-moi. Tes lettres sont meilleures ici dans le silence et la solitude. Mes idées restent au fond de moi-même et s'y chauf- fent bien davantage. Je travaille. Je ne sais pas écrire de lettres parce que j'ai toujours une partie de moi-même dans les champs. A bientôt. Ton
Louis
��10 septembre 02
Chère Emma, je t'ai donc dit que j'avais des ennuis ? Mais non, j'ai eu tout au plus de l'ennui vague. Je travaille le matin. J'avance tout douce- ment, je fume, je pense, je m'agrandis. L'après- midi je pars avec un livre dans ma poche et je vais dans la forêt. Il fait frais comme à la source de ma vie et de grands arbres tendent des branches horizontales où le vent fait frémir les feuilles comme des doigts. Si tu savais comme j'y vis ! Je lis Don Quichotte, et c'est beau de sentir en ce lieu l'âme épaisse et savante de Cervantes. Savante des choses de la vie et expérimentée à la ronde. Je commence à croire que cela suffit et qu'on ne peut écrire de beaux livres qu'à cinquante ans. Je pense à toi, je suis fidèle et libre. Ne te tourmente pas si je ne t'écris que quelques mots. Je ne sais
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