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I7O LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

ne partit qu'à son heure, car les médecins de campagne ne savent pas faire les opérations difficiles, et ceux qui sau- raient ne vont pas soigner gratuitement les pauvres des campagnes. Le hasard d'une bourse conduisit Philippe au lycée de Montluçon, où il souffrit pendant sept années, puis au lycée de Moulins, où il souffrit pendant trois autres années ; et quand il fut délivré de cette captivité de dix ans, il connut encore cinq années de misère, vivant tantôt à Cérilly, à la charge de sa famille, tantôt à Paris, où il gagnait — quand il gagnait quelque chose — un peu moins de cent francs par mois. Dans les mansardes où il abritait sa pauvre vie, — à l'Hôtel de Chartres, rue du Dôme, — 62, rue St Dominique, — 8, rue des Mauvais-Garçons, il avait toujours sous les yeux le por- trait de Dostoïewsky, qu'il avait choisi comme maître à souffrir ; et au-dessous du portrait, sur une banderole blanche qu'il renouvelait à chaque déménagement, il avait écrit cette pensée du maître : " Celui à qui il a été donné de souffrir davantage, c'est qu'il est digne de souf- frir davantage. " On souffre d'abord avec humilité, on apprend à souffrir avec fierté : toute la jeunesse de Phi- lippe n'est que l'histoire de cet apprentissage.

La place Royale, à Paris, est un lieu vénérable et frais, plein d'oiseaux, de feuilles claires ou mortes, d'air et de silence. Philippe l'a beaucoup aimée. Le lycée de Mou- lins ressemble modestement à la Place Royale. Il a une chapelle de style cornélien, et une vaste cour où Madame la duchesse de Montmorency, en habit de Visitandine, promena longtemps sous les tilleuls le regret de sa jeunesse perdue et le souvenir du beau connétable. C'est dans cette cour que je vis pour la première fois, à l'automne

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