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reprendre après l’avoir abandonné. Philippe a créé Marie pour cela ; mais, la créant, il a voulu qu’elle existât d’abord pour elle-même, d’une existence à nulle autre semblable où se résume un passé personnel. Il la prend donc tout enfant, enfant d’une mère aventureuse, enfant gâtée par son grand’père ; il décrit l’éveil premier de ses caprices sensuels, ses voluptés d’abord furtives, puis hardies, et sa docilité sentimentale, sa vocation de femme esclave d’un seul maître, mais tentée par chaque passant. Cependant cette biographie suscite moins d’émotion que d’attente, et demeure une préparation que l’on admettrait différente ; elle parait à demi fortuite, dans un monde où toutes choses sont strictement nécessitées. Puis, Philippe a si rudement plié Marie aux servitudes du sexe, enfoncé si profond son âme dans son corps, que nous la reconnaissons mal aux heures où l’âme se délivre et palpite au-dessus du corps ainsi qu’une flamme tremblante. Les dialogues de Marie et de Jean brisent les cadres du réalisme ; les mots, les faits, signifiant moins par leur sens propre que par leur ordre, y symbolisent des sentiments qu’une expression directe déformerait. À Jean Bousset sied bien ce langage mystique ; mais comment Marie sait-elle y répondre ? Elle n’est pas pleinement sincère ; elle n’est pas simplement menteuse ; elle imite par sympathie. Elle prend la couleur de la branche sur laquelle