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l’on croise la faim, la honte et la prostitution ; la chambre exiguë, froide et sale, où l’on frissonne ; la visite des amis pauvres, qui vous font un peu de bien rien qu’à confronter leur misère avec la vôtre ; et la rue pleine de vertiges, où l’on est plus chez soi que dans sa chambre, éclairé par les regards, même hostiles, et réchauffé par les contacts indifférents. Il a connu les amours de la rue, la femme qu’on abrite une heure en sachant bien ce qui l’attend après ; la femme qu’on voudrait sauver, qu’on ne sauvera pas parce qu’on est faible, et que d’ailleurs pour la sauver il faudrait sauver tout un monde. Tout cela, plusieurs années de la plus âcre expérience, revit aux pages de Bubu ; d’autant plus merveilleux est l’art par lequel tant de troubles éléments sont condensés et maîtrisés. Rien d’extérieur, rien de conventionnel : elle est bien loin, l’image truculente que les collégiens d’alors se faisaient des souteneurs et des filles, d’après les chansons d’Aristide Bruant. Maurice Bélu, le grand Jules, Berthe et Blanche Méténier, ne sont point là pour un spectacle. Ils vivent, ils remplissent leur peau ; leur âme circule dans tout leur corps ; c’est le sang même de leurs veines qui forme leurs idées courtes et leurs sentiments obscurs. Le style vaut avant tout par sa franchise d’attaque : comme les pas de Bubu sur le pavé des quais, chaque phrase pose résolument, et transmet son ressort à la sui-