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I I 8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

roman va-t-il enfin renoncer à son héros favori depuis plus d'un siècle : le ténébreux qui s'écrie : "Crève donc, Société ! " sitôt qu'une amie lui est cruelle ou que ses parents lui refusent la clef de l'étage ? Des héros si dignes et si vrais, si peu déclamatoires nous font plaisir à rencontrer... On apprécie celui de M. Jean-Louis Vaudoyer surtout quand il retrouve son ancienne passion, aujourd'hui jeune femme, dans la chambre d'un hôtel italien. Elle ne veut pas céder, mais consentirait pourtant à mourir avec lui. Mourir d'amour quand on a une famille, quand on appartient à une classe sociale, que l'on a des responsabilités et des exemples à donner ? Sans insister exactement sur tout cela, le jeune homme repousse douce- ment cette folie, et la Bien- Aimée s'achève sur une sorte de renoncement déchiré, qui est très beau. Ce qu'il y a de charmant dans les personnages de M. Vaudoyer, c'est qu'ils ressem- blent infiniment aux jeunes gens d'aujourd'hui : forts artistes et fins lettrés, ils ne sauraient aimer sans mêler à leur amour ce que l'art et les lettres ont apporté de plus exaltant pour l'homme, il leur faut penser à Chopin, à Wagner, à Pricard, à Swinburne, ils font collaborer l'univers et son passé à leur fête amoureuse. Si l'on peut reprocher quelque chose à ses romans, c'est d'abuser parfois du décor, non qu'il soit de trop, cependant, dans Y Amour Masqué, à qui son caractère même permet une grande liberté de luxe et d'arrangement, mais il y a quelque excès de ce genre dans la Bien -Aimée, et certains détails du voyage en Italie distraient parfois d'un récit si simple et si émouvant. Mais je dis cela par conscience extrême de puriste et je prends un vif plaisir à un parti-pris artistique, si évident, à cette opulence d'images, à ces recherches décora- tives qui donnent envie parfois de caresser et de louer la matière de ces pages, comme on le ferait pour les pâtes sur- chargées d'une réunion galante de Monticelli ou pour l'ivoire doré et jauni d'un netzké.

E. J.

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