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126 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

blancs avec des points obscurs, les fourrés d'un vert " froid; la barre violette qui fermait l'horizon, comme " une mer sans limites " ^ ; et l'homme d'escorte, penché sur son cheval immobile. Et méditons ces lignes révéla- trices :

" Je n'éprouvai aucun éblouissement ; j'eus le temps " de rn affermir un peu Vâme^ afin d'embrasser ce tableau " d'un coup d'oeil sûr, qui demeurât fidèle, et de rn'en

    • emparer pour toujours. Lentement, j'envisageai cette ville

" noirâtre, cet horizon plat, cette solitude embrasée, ce " cavalier blanc sur son cheval blanc, ce ciel sans nuages ; " puis mon œil, pourtant fatigué de lumière, tomba sur " la petite ombre brune marquée entre les pieds du cheval, " et s'y arrêta Il était un peu plus de midi. "

Quelle sensation se dégage pour nous de ces lignes, sinon celle d'un arrêt dans la fuite éternelle des jours et des images ? d'où vient cette émotion si spéciale que donnent toutes les plus belles pages de Fromentin, sinon de cette force d'arrêt, de cette faculté de se recueillir et de se posséder tout entier ? L'impression est complète, absolue, définitive, non transitoire, informe et fugace ; il la domine, il la fixe; une petite ombre passagère dans l'immensité lumineuse, il l'immobilise à jamais dans son souvenir et dans le nôtre ; il a, pour un instant, arrêté le soleil, et suspendu le vol du temps.

Une telle disposition morale ne peut s'exercer pleine- ment que dans certaines conditions matérielles de liberté et de solitude. Aussi pourrait-on dire que si Fromentin fut attiré vers l'Orient par ses dons et ses préférences de peintre, il y fut retenu surtout par de secrètes affinités

' Un été dans le Sahara page io6.

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