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124 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

quent " la force et la persistance " de ses souvenirs, et son culte prématuré du passé.

Jusqu'à vingt-cinq ans, ne pouvant suivre sans combats sa vocation réelle, dont il n'a pris qu'une conscience tardive ; isolé parmi les siens, entre un père hostile à ses travaux, et une mère tendrement tyrannique; absorbé par un impossible amour pour celle qu'il devait un jour nom- mer Madeleine^ et libéré brutalement par sa mort ; ayant déjà jugé et condamné l'œuvre poétique de sa jeunesse, et la première expression de son âme ; ne pouvant aimer, ne pouvant agir, il se replie sur lui-même et se rejette vers " une activité tout intérieure " ^. L'avenir ne lui offre pas l'espoir, ni le présent la joie, mais le passé lui appartient : au rêve, qui fut le refuge de son adolescence — "vivre, c'était rêver, rêver toujours " ^ — vase substi- tuer le souvenir de ses rêves, l'image pieusement conservée de sa vie intime, la seule réelle.

En vérité, le passé seul est réel, puisque rien ni personne ne peut l'atteindre, si nous avons la force de le garder vivant en nous. Il a été, et ne peut plus changer, que pour devenir plus beau — et s'enrichir de tout ce que la richesse accrue de notre âme lui prête. Tandis que la plupart des hommes fondent leur vie sur une perpétuelle mort de ce qu'ils ont été, sur un perpétuel abandon de ce qu'ils ont senti, certains, mais nul plus que Fromentin, l'établissent sur la connaissance et la possession de leur être, et la continuité de leur vie intérieure.

La lucidité morale et le besoin de se posséder par le souvenir sont, chez lui, moins une nécessité sentimentale

' Lettres de Jeunesse page 77. ' Lettres de Jeunesse page 56.

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