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" d’une aptitude singulière à se pénétrer des impressions ", il est difficile de parler après Dominique.

Mais ce que les lettres établissent de la façon la plus évidente et la plus curieuse, c’est que Fromentin, dès sa jeunesse, eut pleinement conscience de la formation et de la valeur de ses souvenirs :

" Le spectacle permanent d’un beau ciel et d’une belle campagne m’enchante, et me prépare de délicieux souvenirs " ^, écrit-il en 1843, à vingt-trois ans ; et dans la même lettre, adressée à un voyageur qui s’étonne de peu jouir de son voyage, il ajoute : " Ayez soin seulement de voir beaucoup; tout se transfigure naturellement dans le souvenir : c’est un admirable instrument d’optique. "

Il dit encore : " Ne t’effraie pas de voir tes souvenirs s’effacer un peu... Le souvenir, en vieillissant, se concentre, se simplifie... en passant par le souvenir, la vérité devient un poème, le paysage un tableau " ".

A vingt-huit ans, il écrit d’Algérie : " Comme tout paraît extraordinaire à distance, et comme l’inconnu, quand on l’habite, est simple ! et ce qu’il y a de plus drôle, c’est que tous ces détails, si simples, me deviendront délicieux en souvenirs. Voilà l’esprit. "

Enfin, dans le même voyage, en plein enthousiasme, en pleine fièvre d’artiste, il a ce mot plus frappant que tous les autres : " Quelles journées, quel peuple, quelle beauté !. . . Les souvenirs deviendront extraordinaires ! ^

Ainsi les impressions actuelles, ressenties par Fromentin avec une intensité et une délicatesse incomparables, ne sont pour lui que la préparation, et comme l’avant-goût, du

1 Lettres de jeunesse page 94..

’ Lettres de jeunesse page 191.

^ Lettres de jeunesse, page 333.