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homme sent et traduit l’amour comme s’il était au monde le premier à aimer. Il ignore la rhétorique du sentiment, les attitudes factices, les conventions du platonisme et celles de la galanterie ; à chacun de ses amours il saura garder sa qualité propre, son degré de force et de profondeur, sans user au service du désir les mots réservés pour l’adoration, sans exagérer le désir en lyrisme, ni l’adoration en ferveur mystique. Ne poursuivant pas en toutes les femmes, à la façon de Chateaubriand, le fantôme d’une sylphide, il nous laisse deviner, au ton qu’il prend pour leur parler ou parler d’elles, les^ figures si différentes d’Annette ou de Frédérique, de Lili ou de Mme  de Stein. Mais plus qu’elles toutes c’est lui qui se révèle — nature irritable et mobile, mais si libre, normale et saine, gonflée d’une énergie si joyeuse, que, dans son désespoir le plus abandonné, déjà pointent les germes d’un futur bonheur. Ces tendres lïeder^ dont Heine a bien décrit la douceur d’enlacement et de caresse, ces lieder " si délicatement éthérés, si vaporeusement ailés," n’annoncent point toute la vigueur de l’âge mûr ; j’y note pourtant certains caractères que le lyrisme de Gœthe conservera jusqu’à la fin.

i" Et d’abord, la poésie étant "l’art d’exciter le sentiment " (Gemilthserregungskunst) et " la représentation du sentiment même, du monde intérieur en sa totahté, " l’unité de chaque poème