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544 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

préface, feint que pour un instant Monsieur Sainte-Beuve ne soit pas mort. Georges Grappe qui vient lui soumettre son livre, a la chance de rencontrer chez lui M. Veyne. Sainte- Beuve cause abondamment ; trop abondamment même ; avec 20 pages de moins cette préface fantaisiste (qui en compte 1 10) serait charmante ; le début enchante ; à la fin elle lasse un peu. Goûtons cette expressive description de l'appartement ;

" Les meubles étaient de l'acajou le plus vulgaire, sans angles, presque sans saillies, tout arrondis en courbes dénuées de grâce, laids et confortables, comme il était de mode au temps du roi Louis-Philippe.

Le petit lit du maître, presque enfantin, ornait l'un des coins de la pièce : il était recouvert d'un couvre-pied d algérienne, éclatant et modeste. Sur les fauteuils en tapisserie, de petits ouvrages féminins, lourds, de grâce vieillote, aggravaient encore le je ne sais quoi de désuet qu'ils accusaient déjà. Les murs r clairs, bordés d'un filet d'or, portaient quelques épreuves de peinture romantique. Des répliques de chefs-d'œuvre anciens encombraient la cheminée. Le long de la glace, quelques daguer- réotypes déjà pâlissants, portraits d'écrivains amis ou de com- pagnons d'espérance, se trouvaient rapprochés bizarrement. Tout cela était frotté, propret, rangé avec un soin méticuleux.

Ce décor sentait tout ensemble la chambre meublée et la chambre de la vieille fille."

Goûtons aussi cette jolie réponse de Sainte-Beuve, lorsque M. Grappe lui avoue que "jamais, à son grand dommage, il n'aura l'âme d'un partisan ".

— " Je vous comprends, mon cher enfant, me répondit Sainte- Beuve, en souriant. Votre histoire m' arriva jadis à moi-même.

Vous savez combien de milieux j'ai traversés. Parce que j'étais de ceux qui voulaient libérer le vers de sa chaîne classique, on me jugeait nécessairement catholique fervent et ultra. Je fréquentai les Saint-Simoniens et l'on m'affubla d'un seul coup de toute la doctrine. Je vis à un certain moment, presque quotidiennement, ce pauvre et grand M. de Lamennais et l'on me crut, d'emblée, converti au catholicisme, cette fois encore. Plus tard, ce fut au protestantisme, parce que les nécessités de mon état m'avaient amené à Lausanne.

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