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NOTES 541

irréalisable que les rêveries de Wells. De là vient l'incertitude de beaucoup de critiques et de lecteurs. Puisque chaque événement est presque banal, ils se demandent pourquoi le livre leur paraît aussi fou, et ils croient à une faute de composition, alors que c'est sa vision même du monde que M. de Miomandre nous offre; c'est avec ce masque et ces parures que la réalité lui apparaît. Il a toujours vu que les incidents les plus vaudevillesques interrompent les plus sin- cères tendresses et que les gens que l'on connaît le moins détruisent notre vie sans s'en douter. Il se mêle, dans ces œuvres curieuses, l'imagination d'un auteur comique du Palais- Royal et celle des tragiques grecs ; c'est la Fatalité vue par un philosophe sceptique qui consentirait à écrire des pièces à quiproquos; la pièce est fort drôle, mais ne riez pas trop, vous retrouverez bien vite le philosophe désen- chanté et le poète qui courbe la tête sous le poids du Destin. Il y a dans le Vent et la Poussière un pantin que l'auteur affectionne et qui s'appelle Pierre Pons. Quelques critiques le lui ont reproché; ils n'ont pas voulu écouter l'amère leçon que l'écrivain leur donne. Entre Heury, Lyon- nette, Germaine et Pierre Pons, la différence est peu sen- sible; ce sont également des pantins, inconsistants, incertains, tâtonnants, tourbillonnant à tous les souffles du vent, comme des grains de poussière. Et le lecteur refuse de reconnaître que cette humanité falote, comique, incohérente, affolée est plus près de la vérité que celle de plus grands réalistes qui voient des forces et des volontés dans le spectacle de l'univers. Mais ce qui fait le charme de M. de Miomandre en dehors de sa poésie et de son observation, c'est l'esprit, un esprit français, moqueur, alerte, pétillant, qui court sous toutes les pages, pénètre toutes les paroles et empêche qu'une larme ne vienne troubler notre regard, quand cette vie absurde et logique devient tout à coup déchirante et que la poésie des adieux se mêle à celle des fanfreluches, des soupers et des méditations.

Edmond Jaloux.

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