Page:NRF 1909 6.djvu/44

Cette page n’a pas encore été corrigée

514 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

fus moins sensible qu'à la grâce fragile de certaines petites plantes qui chargeaient de leur feuillage léger comme plume les minces bambous fichés en terre pour les supporter. Délia m'y ayant invité, je portai la main sur l'une d'elles; à peine m'en étais-je approché, je la vis frémir sous mes doigts, se contracter et se refermer ensuite frileusement, ce qui me fît connaître que j'avais sous les yeux ces fameuses sensitives dont j'avais maintes fois ouï parler mais que je n'avais pas encore eu l'occasion d'observer. Mon étonnement amusa Délia. Du bout de son éventail, elle se prit à son tour à provoquer les fines folioles qui, devant même que d'être touchées, manifestaient on se sait quelle crainte farouche, pareille à cette appréhension subtile de la prunelle qui devinant, croirait-on, le coup qui va l'atteindre, à l'instant s'abrite derrière l'écran des cils vivement rabattu. Aux éclats de rire qu'elle faisait, Ascanio curieux d'en connaître la cause, se rapprocha de nous et ayant considéré quelque temps le jeu auquel nous nous livrions: — En vérité, fit-il, la petite grimace de ces plantes me paraît l'image aussi fidèle qu'on peut le souhaiter de cette hypocrite momerie à quoi les femmes ont donné le nom de pudeur. Sous la menace d'une main qui les effleure, ces sensitives se rebiffent : faites attention qu'une fois dissipé le premier émoi, elles ne se défendent plus, vous les pouvez manier à votre guise, elles sont inertes et consentantes. Ainsi en va-t-il avec les femmes. Force simagrées d'abord et une alarme hors de propos ; que si nous passons outre, le plus grand abandon succède aux rebuffades. Heureuses créatures ! Il leur suffit de baisser les paupières et l'honneur est sauf; elles ont tiré le rideau sur l'alcôve où désormais tout est permis... — Je

�� �