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LA CAPTIVE DES BORROMEES 5 1 3

qu'on sentait formée de tout ce qu'un soleil prodigue avait su tirer de suc et d'arômes aux fleurs dont l'île était couverte. Pas un bruit ne s'élevait des jardins. Le rou- coulement des colombes paraissait lui-même alangui et comme exténué de trop de délice : immobiles et langou- reuses, on les voyait posées parmi le feuillage des bosquets ainsi que de gros fruits duveteux : à peine sur notre pas- sage dressaient-elles à demi leur col couleur de pêche. Mais soudain, mon cœur battit : appuyée à une balustrade et un petit éventail de nacre levé à la hauteur du visage, je venais de distinguer Délia. Le Comte en même temps l'aperçut et d'abord je crus qu'il allait concevoir sur-le- champ quelque moyen soit de l'écarter, soit de m'attirer plus loin ; à ma vive surprise cependant, il piqua droit sur elle et la salua d'un air de grande satisfaction. Je n'en éprouvais pas moins, surtout à remarquer l'aimable rou- geur qui à mon approche avait embelli les joues de la jeune femme. Il faut juger qu'Ascanio s'était mis en tête de me confondre par sa générosité et ses politesses, car je n'avais pas plutôt achevé mon compliment à Délia qu'il lui proposa de pousser en notre compagnie jusqu'à la terrasse la plus haute où il avait commandé qu'on ap- portât des limonades. Elle accepta volontiers et le Comte ayant pris les devants pour nous guider, nous nous engageâmes à sa suite dans un sentier en rampe qui s'élevait en longeant l'assise même des terrasses. Sur les murailles s'étalaient les plus magnifiques espaliers de cédrats qu'il fût possible de voir. Ascanio au passage en citait les noms et les vertus particulières, et de temps en temps s'arrêtait pour tâter de sa main sèche les fruits durs et dodus. Quel que fût leur éclat sous la noire verdure, j'y

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