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LA CAPTIVE DES BORROMEES 5II

Au surplus, comme s'il eût craint d'irriter une suscepti- bilité qu'il savait assez chatouilleuse, Ascanio se garda d'insister, et me menant vers la fenêtre, à une petite table où était disposé un échiquier garni de ses pièces, il me rappela gaiement les parties qui nous avaient si souvent mis aux prises, à Rome, chez mon oncle le Cardinal, tandis qu'à côté de nous, à califourchon sur sa chaise un vieux carme barbu qui avait eu l'honneur de déjouer le premier le fameux gambit de Philidor sacrait comme un païen à la moindre étourderie qui nous échappait. Le souvenir me dérida et puisqu'aussi bien il fallait de toute façon endurer la société du fâcheux, je lui proposai d'éprouver sur l'heure où nous en étions. Il accepta volontiers, et nous étant installés l'un en face de l'autre, nous commençâmes aussitôt à pousser nos pions. Nous y passâmes la matinée entière dans un réciproque contente- ment. Ascanio coup sur coup me fît trois fois échec et mat ; pour moi, j'y gagnai du moins de ne point trouver le temps trop long à s'écouler. Vers midi, un valet vint nous avertir que le déjeûner était servi ; le jeu, ma foi ! nous avait mis l'estomac dans les talons, nous le suivîmes sans nous faire prier. Les deux couverts que j'aperçus dressés, en pénétrant dans la salle à manger, me firent voir dès l'abord que Délia ne paraîtrait pas au repas. Je n'y avais pas compté, je n'en ressentis aucune déception et me gardai de paraître remarquer l'absence de la jeune femme. Du reste, maintenant qu'une secrète collusion nous unissait, j'aurais appréhendé que la présence de Délia ne causât quelque embarras, soit qu'un mot in- considéré ou un regard ne nous dénonçât aux soupçons toujours prêts de notre hôte, soit que par une rougeur ou

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