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5IO LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

son saoul. A présent, impotent et manchot, je ne possède plus des joies de ce monde que ce que l'on en peut prendre avec une seule main. Tout enchanteur qu'il soit, comment oublier que ce lieu est celui de ma retraite ? C'est là un mot dur à entendre quand on a mon caractère et mon sang. . . Il me faut bien tromper l'ennui de mon mieux, fût-ce avec de vieux fers rouilles : ne les raillez donc pas, ils sont mes derniers amis, nous mettons en- semble nos souvenirs, ils me rappellent à tout instant le camp, la bataille, les beaux coups donnés ou reçus de grand cœur. Que voulez-vous, on se console comme on peut !... — Eh, fis-je méchamment, vous ne dites pas tout ! ... Il est aussi certain oiseau fort doux à entendre. . . — Vous avez raison, me répondit-il d'un ton hautain. Con- sidérez toutefois qu'il n'est rien comme la cagpour ôter leur voix aux chanteurs !... Et reprenant son expression enjouée : Il y a dix ans, poursuivit-il, j'adorais les femmes. Quelles folies n'ai-je point faites pour elles, vous en savez quelque chose, j'étais jeune alors et assez simple pour imaginer qu'on me payait de retour. Elles m'ont fait bien voir que je m'abusais. A l'heure qu'il est, j'ai la faiblesse, je l'avoue, de les adorer toujours, du moins ne gardé-je plus d'illusion, et si je nourris des rossignols, ce n'est pas sans prendre la précaution de leur attacher un fil à la patte. Corbacque, j'ai passé mes plus belles années à souffrir mille maux pour ces créatures détestables et charmantes : il n'est que justice que je leur rende la pareille pendant le restant des jours que le Créateur veut bien m'accorder. .. — En tout autre temps, ce cynisme dé- goûtant m'eût fait éclater ; l'assurance que le châtiment était en marche me fit supporter l'assaut sans broncher.

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