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37^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

CHRONIQUE DU CADET DE COUTRAS.

Certains font alterner un livre pour la vente, puis un pour la critique, mais il est assurément beaucoup plus habile de contenter l'une et l'autre en un même ouvrage. Cela est même si fort qu'on soupçonne là-dessous quelque sortilège ou quel- que talisman. Dans le cas présent, il n'y a pas à chercher bien loin : avec un singulier don d'écrivain, M. Abel Hermant a reçu des Muses complices le génie même de la flatterie.

" Flatter, dit le dictionnaire, caresser par quelque attouche- ment agréable. " Il suffirait de lire avec perspicacité les folles aventures oîi se fait l'éducation du petit Cadet de Coutras, de le suivre avec son précepteur Gosseline au café-concert, en Angleterre, au régiment, pour savoir ce qui plaît à la bour- geoisie française de 1909 — non pas ce qu'elle croit aimer, mais ce qu'elle goiite en effet, sans le savoir, peut-être avec de petits cris scandalisés, ce qui demain sera le goût de tout le monde, mais qu'aujourd'hui chacun se sait encore gré d'éprouver. Prenez, par exemple, le chapitre charmant où le jeune Coutras chez qui un ouvrier gréviste vient de saboter les sonnettes électriques, où dis-je, le jeune Coutras avoue à son équivoque précepteur qu'il n'éprouve point de sympathie pour les ouvriers :

" J'ai observé qu'à la maison, où personne n'est révolution- naire, on ne parle des ouvriers, comme des prêtres, qu'avec un respect craintif et d'une onctueuse voix. Maman et ma tante de Coutras se lèvent deux fois par semaine à six heures du matin, pour aller faire des classes, dans la plaine Saint-Denis, à des filles du peuple qui disent des mots abominables quand on se permet de les gronder. Je vous assure que tout le monde aime tendrement les ouvriers. Je crains d'être un monstre parce que je ne les aime point.

— Moi, je vous en félicite, répondit Gosseline : vous n'êtes pas un monstre et de plus vous n'êtes pas un snob. Personne au monde n'a jamais aimé les ouvriers. Cette expression est dénuée de sens. On aime des animaux, des individus ou des objets. On aime son foyer, quelquefois même sa famille et il est humain de chérir sa patrie. Mais il n'est point concevable

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