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368 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

moment ensemble ; que le vaisseau ne s'est-il ouvert ; que ne sommes-nous passés du bonheur qui nous confon- dait à un engourdissemejit encore plus total, à un néant plus grand et plus absolu ?. . .

Le récit de des Grieux ne va pas plus loin que ce passage. Il appartenait à M. de K..., qui demeura jusqu'au bout le fidèle confident du chevalier^ de le compléter avec ses notes. Voici les notes de M. de K.:

" Notre petite escadre avançait toujours ; le temps, des plus purs, en favorisait la marche. Et le chevalier, sans cesser un seul jour de s'épancher près de moi et de me parler de Manon, semblait se reprendre à la vie avec une ardeur que j'admirais. Hélas ! cette ardeur n'était que l'expression de l'impatience fébrile qu'il apportait à cher- cher la mort ! C'est dans la nuit du 10 au 11 d'avril qu'il la trouva enfin et se précipita au devant d'elle avec une allégresse et une soudaineté telles que nous ne pûmes rien faire pour y mettre obstacle. A ce moment, il était à peu près minuit ; à la faveur de l'ombre deux ou trois brigantins et une petite corvette s'étaient approchés de nous au point de nous toucher. On donna l'alarme et l'on ouvrit le feu ; mais l'ennemi, que nous ne distin- guions qu'à peine, répondit par une belle décharge d'ar- tillerie. A ce bruit, je vois encore des Grieux s'élancer d'auprès de moi, l'épée à la main, entraîner les autres et porter la terreur chez les assaillants ; enfin, en moins de temps que j'en mets pour écrire, il revient ; il a fait prisonnier le capitaine anglais ; mais, à peine a-t-il accompli son action que je le vois tout d'un coup tomber à mes pieds, atteint par une grenade. "

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