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SUITE AU RÉCIT ... 367

barquai était le même qui nous avait emmenés avec Manon en Amérique. Je reconnus le pont et les sabords, le pavillon du roi et ce banc-arrière où nous formâmes jadis, ma maîtresse et moi, un groupe tremblant et lamentable. Pauvre Manon ! Je la revois toujours ! Du moment que je venais partager ses malheurs, il semblait qu'elle cessât de les sentir ; elle s'approchait de moi, me pressait les mains de ses mains, me serrait de ses bras, me réchauffait avec ses lèvres. Cela dura deux longs mois de notre départ du Havre au Nouvel-Orléans. Il n'y eut pas de nuit que nous ne passâmes sur ce banc à nous aimer. Manon s'abandonnait d'une façon qui témoignait de l'affection invincible qu'elle avait pour moi. Elle manifestait un repentir si grand de ses erreurs qu'il apparaissait que je ne dusse plus redouter de la perdre jamais. Le souvenir de ces nuits est gravé en moi et je l'ai revécu en montant à bord. Manon venait se placer à mes côtés, et me cachait avec elle sous son manteau. Nous nous sentions alors, au milieu de l'Océan, dans une sécurité que nous n'avions jamais goûtée au milieu du monde. Mais les nuits étaient fraîches ; et il arrivait que Manon, encore affaiblie de tous les maux qu'elle avait soufferts à l'hôpital et pendant le voyage affreux auquel on l'avait contrainte, sentait le froid la gagner. Alors elle toussait, elle frissonnait; et je crains bien que le mal qui l'accabla un jour, n'ait commencé là. Je me rappelle toujours, comme si c'était d'hier, d'une des plus belles heures de la traversée ; aucune ne fut plus ineffable. Je m'étais étendu sur le pont ; Manon avait posé son front sur ma poitrine. La nuit était douce et illuminée... Ah ! que la mort ne nous a-t-elle saisis à ce

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