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1,66 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

c'était dans cette ville que j'avais le plus souffert. Je lui retraçai le tableau de ma maîtresse attachée comme la pire voleuse au milieu des filles tandis qu'à chaque pas je devais lutter avec les soldats pour avoir le droit d'ap- procher un peu d'elle et d'essuyer de ma main ses yeux qui ne s'arrêtaient pas un moment de pleurer.

Le récit de ces aventures ne laissa pas que de passion- ner M. de K. au point que cet officier, me prenant sous sa protection, se lia à moi sans distance des grades. En arrivant au Havre je dus à ses bontés d'être présenté à M. le marquis de la Gallissonière qui commandait l'escadre. M. de K. passait aussi en Amérique ; il assura l'amiral que j'étais de ses amis et que je ne pouvais être qu'une recrue excellente à l'expédition. M. de la Gallis- sonière était d'abord rude et bon. Il me tapa un peu sur l'épaule comme on fait avix soldats. — " Je vois ce que c'est, dit-il, vous quittez la France par chagrin ; laissez faire, mon ami, le chagrin s'usera avec le temps ; vous servirez bien et je vous ferai officier en arrivant au port." — " Monseigneur, répondis-je avec beaucoup de modestie, rien ne me touche plus que votre acceuil ; mais mon chagrin ne passera qu'avec la vie que je porte." Ap- paremment M. de K. lui avait parlé ; il n'insista pas de peur de réveiller des peines qui n'étaient qu'assoupies. — "Au moins, me dit-il, n'allez pas commettre d'imprudence; je n'entends pas que vous vous exposiez autrement que dans la guerre." Je lui promis, ainsi qu'à M. de K. de n'obéir qu'à leurs ordres. Ils le trouvèrent bien ; et c'est le lendemain seulement que nous mîmes à la voile.

Par un de ces hasards affreux qui n'arrivent qu'à moi et me poursuivent de leur fatalité, le vaisseau oii j'em-

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