SUITE AU RÉCIT ... 365
dai-je, quand partons-nous ? " — Mais dès demain, mon ami, me dit-il, nous partons au Havre avec le détache-
��ment."
��Je laisse à penser ce que fut pour moi ce voyage du Havre que j'avais accompli jadis, peu d'années avant, aux côtés de Manon. J'eus, à toutes les étapes, la douleur et la consolation de revoir tous les lieux où j'avais passé à cheval tandis que ma maîtresse était enchaînée au fond de la charrette et si cruellement que ses mains et ses bras en étaient blessés. Quand le Christ souffrit sa montée vers la mort il n'éprouva pas sans doute plus de douleur que j'en ressentis à revoir les stations de notre calvaire à Manon et à moi. Cela commença sur le chemin de Normandie, après la porte Saint-Honoré. Il fallut que je passasse dans Passy à l'endroit même où notre lugubre cortège s'était arrêté en sortant de Paris et en emmenant Manon. Je ne pus revoir l'hôtellerie où M. l'abbé Prévost prit soin de nous deux avec tant de bonté, sans m'aban- donner à mon chagrin. Les soldats qui étaient dans le rang se moquèrent de moi ; ils croyaient que c'était par désespoir de m'être engagé que je versais des larmes, ils le dirent à mon capitaine en me raillant de façon gros- sière. M. de K., qui s'était montré si excellent la veille à mon égard, vint aussitôt à moi. Il fît taire ces rustres, me fit sortir du rang et il mit tant de bonté à s'intéresser à ma douleur que je ne pus faire autrement que de lui en confier la cause. Il faut dire que cela nous mena, ce jour-là, jusqu'à Mantes et que la compassion que M. de K. témoigna pour moi pendant mon récit fut un véritable adoucissement à mon malheur. Je lui dis en arrivant à Mantes, où nous parvînmes enfin à la fin du jour, que
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