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2S^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

pas que ce soit avant trois mois au moins, me répondit le religieux ; car, bien qu'il se hâte, il a fort à faire ; et les chemins sont longs ! "

Une telle déconvenue, en venant ruiner tous mes pro- jets, me précipita en un moment de la joie où j'étais dans l'abattement le plus morne et le plus extrême. — " Ah ! malheureux ! me disais-je, en me maudissant mille fois, voilà le fruit de l'inconstance ! Au lieu d'écrire à Tiberge ; au lieu d'appeler ton ami à toi, tu es demeuré sourd à tous ses conseils, tu l'as abandonné ! Et mainte- nant voilà que tu te trouves seul au monde ! "

Je sortis de Saint-Sulpice en proie au chagrin le plus vif, désespéré de tout ce qui m'arrivait, et sentant déjà faiblir dans le fond de mon cœur, toutes les résolutions que M. l'abbé Prévost y avait fait naître. La déception de n'avoir pas rencontré Tiberge au séminaire était si forte que je demeurai longtemps immobile et muet de saisissement. La vue de la petite friperie, vers le coin de l'église, où je m'étais autrefois débarrassé de ma soutane en fuyant avec Manon, au lieu de le calmer, excita mon trouble. Je parvins enfin au Luxembourg. Je marchai dans les chemins, sans entendre ni voir, ainsi qu'un insensé. Je ne remarquai pas tout d'abord, dans mon abattement, que j'entrais dans l'allée où j'avais eu rendez- vous avec mon père pour la dernière fois. Enfin, je recon- nus l'endroit, je revis le moment et la journée. C'est là que j'avais prié pour Manon ; c'est là que mon père avait eu la dureté de me repousser avec indignation. Tous mes maux viennent de ce refus cruel de m'entendre.

En même temps que je ressuscitais pour mon pire remords ce passé douloureux, j'agitais en moi si je devais

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