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SUITE AU RECIT ... 347

portière et vis les maisons, les places et la petite hôtellerie où le coche d'Arras arrivait dans le moment en même temps que le nôtre. " Ah ! Dieu ! Ah ! Dieu, m'écriai-je, est-ce donc là que je la vis ? Quoi, voilà le coche et voilà l'auberge ! Ah ! Manon, Manon ! Ces pierres ont porté tes pas ; tu as marché sur ces dalles ; c'est là que, pour la première fois, tu es venue à moi, Manon ! Et les pierres, les maisons, la ville continuent d'exister 1 Ton amant est là comme au premier jour j il vit, il respire, il accourt ; il ouvre les bras, il étend les mains ! Hélas ! malheureux ; tu n'étreins que le vide ; il n'y a plus de Manon ! " La mine égarée et les regards animés de toute cette poussée intérieure de l'amour, je sautai du coche avec une extrême agitation ; j'allais et je venais comme un fou dans la cour de l'auberge et les signes de désordre que je donnais ainsi en public ne tardèrent point d'attirer les regards du maître des postes. — " Monsieur, me dit-il, à ce que je vois, est impatient de repartir ". — " Quand le ferons- nous ? " lui demandai-je, d'une manière qui lui laissa sup- poser qu'il avait deviné mes mouvements. — " Monsieur, me dit-il, c'est le dernier relai ; il faut compter passer la nuit ici, car il est tard ; mais, dès demain matin, nous partons au petit jour ".

Je feignis de témoigner de mes regrets dans une cir- constance à laquelle, dans mon trouble intérieur, je n'avais point pensé depuis Calais. — " Au moins, dis-je, que cela ne soit pas demain plus tard que cinq heures ! " Il m'en assura. Je pris mon manteau et mon épée, mais je laissai mon maigre bagage à sa garde. Il m'offrit une chambre, mais j'en savais une où je voulais aller. C'était celle où Manon avait passé la nuit qui précéda sa fuite dans la

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