Page:NRF 1909 4.djvu/29

Cette page n’a pas encore été corrigée

SUITE AU RÉCIT ... 343

du plus vif chagrin à m'entendre. Hélas! je ne pensais pas qu'en parlant de mes malheurs, c'était aussi le sou- venir des siens que j'éveillais. — "Mon fils, me dit-il, avant que j'eusse saisi toute la portée de son discours, vous ne fûtes point seul à souffrir ; laissez un homme d'âge mêler ses larmes aux vôtres. Mon destin, sans être aussi rigoureux, a connu le chagrin et les suites funestes qu'un amour malheureux amène après lui. L'instabilité de mon humeur ne me maintint pas toujours dans l'état ecclésiastique; vous savez que j'entrai au service et portai les armes ; mais ma nature douce aimait peu la guerre. Je revins aux Pères Jésuites ; puis mon inconstance m'amena à voyager. J'allai en Angleterre et aussi en Hollande. C'est à La Haye que je vis pour la première fois ma maî- tresse. Je n'ose point dire devant vous que jamais femme fut aimée autant ; mais il est bien vrai que, dès ce moment, ma vie fut changée et passa de la méditation et de la crainte de Dieu au goût des chiffons, du jeu et des soupers. Ma maîtresse, comme la vôtre, n'aimait rien au monde autant que le plaisir. Hélas ! Le plaisir l'a perdue, et, la perdant, m'a perdu avec elle. L'amour et la faiblesse que j'éprouvais pour cette femme charmante ont causé ma ruine et mon désespoir. Les embarras de mon état et les inextricables difficultés d'argent où ses excès ne tardè- rent point à m'amener avec elle l'obligèrent à me quitter. Je résolus de voyager à travers l'Europe ; mais, comme vous, j'errai sans repos et aussi sans plaisir. Je trouvai enfin quelque apaisement en Angleterre et, sans le souci de rentrer en grâce près de mon ordre et d'expier mes torts dans la retraite d'un cloître, il est probable que je fusse demeuré à Londres. Mais, chevalier, je suis coupable

�� �