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SUITE AU RECIT ... 34 1

voyages, malheureux errant ! Le monde est désormais dépeuplé pour toi. Où que tu portes tes pas, l'ingratitude et la félonie accueillent ta venue. Il n'était qu'une Manon ! Il n'est qu'un Tiberge ! Hélas l'une est morte et tu délaisses l'autre ! Ainsi que vous pouvez voir, je ne mis que peu d'années à disperser mon bien à travers le monde. N'ayant plus que quelques centaines de livres en ma possession, je résolus de quitter Francfort, où j'étais allé échouer dans le moment, et de revenir ici pour y reprendre l'autre part d'argent que j'avais placée. Hélas ! dès que j'arrivai, je connus l'étendue du désatre nouveau qui fondait sur moi. Le Système avait semé la ruine dans le royaume ; des milliers de familles étaient plongées dans la misère ; Law s'était enfui emportant l'argent de mon banquier et des autres ! Me voici à nouveau aussi pauvre qu'au moment où vous me vîtes jadis dans Passy et où je voulais vendre mon cheval pour accompagner à pied, de Paris au Havre, la charrette qui emmenait Manon avec les filles de joie, "

M. l'abbé Prévost, durant toute cette confidence, n'avait cessé de m'entendre avec attention ; il me fît remarquer, avec cette douceur qui est un charme chez lui, que rien ne lui semblait aussi désespéré pour moi que j'avais le tort de croire.

— "Il vous reste Tiberge, dit-il, et c'est un grand bien. Mon ami, quittez ces lieux funestes et qui ne con- viennent pas à un homme aussi bouillant que vous. Gagnez Paris où je vous mettrai en état d'aller. Voyez Tiberge. Exhortez-le à vous entendre et à vous pardon- ner. Enfin, croyez-moi, rentrez à Saint-Sulpice ; les exercices d'une sévère piété, le repos et la prière agiront

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