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340 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

prodigue et me dit que, moins heureux que lui, je reve- nais au bercail après que mes désordres avaient fait des- cendre mon père au tombeau. L'accablement dans lequel m'avaient jeté les maux que j'avais soufferts depuis plus de trois ans avait complètement ruiné ma santé. Je n'étais pas en état de lui répondre ; mais à peine eut-il remis dans mes mains le dépôt de mon héritage et m'eut-il quitté en m'outrageant encore, qu'une espèce de révolte m'anima contre lui, contre les miens et aussi contre l'argent qui me venait d'eux. — " Ainsi, disais-je, voilà comment me reçoivent ces barbares. Ils ont fait mourir Manon en l'envoyant en Amérique ; j'ai failli mourir auprès d'elle. Jamais amants ne connurent un destin plus atroce ; et, maintenant que je suis revenu chez mon père, on me raille, on m'attaque et l'on m'accuse presque d'avoir fait périr un vieillard de douleur ! L'argent que mon frère m'avait remis m'apparut dès lors comme le prix honteux qu'on faisait de mes vices. J'en pris une espèce d'horreur et je ne pensais plus, dans l'extrémité où m'avait porté une si vive injustice, qu'à dilapider ces fonds exécrés. Je fis aussitôt deux parts de ma petite fortune. Je plaçai la première aux mains d'un banquier qui devait la faire fructifier dans le Système. Et je partis avec l'autre à travers l'Europe. Je vis successivement les Flandres, l'Angleterre, la Hollande et un peu de l'Alle- magne. Hélas ! je ne goûtai le repos dans aucun de ces lieux. Les amis que j'avais ne me conservèrent leur affec- tion qu'autant que j'eus d'argent à leur donner ; et, pour mes maîtresses, elles furent si vénales que je ne puis même pas vous en parler aujourd'hui sans dégoût. " — " Ah ! disais-je à part moi souvent, au cours de ces

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