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LA PORTE ÉTROITE
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énervés tous deux, fatigués par une nuit sans sommeil. Mon oncle vint. Alissa sentit que je le trouvais vieilli. Il était devenu dur d’oreille, entendait mal ma voix ; l’obligation de crier pour me faire comprendre abrutissait mes propos.

Après déjeûner, la tante Plantier, ainsi qu’il avait été convenu, vint nous prendre dans sa voiture ; elle nous emmenait à Orcher avec l’intention de nous laisser, Alissa et moi, faire à pied, au retour, la plus agréable partie de la route.

Il faisait chaud pour la saison. La partie de la côte où nous marchions était exposée au soleil ; les arbres dépouillés et sans charme ne nous étaient d’aucun abri. Eperonnés par le souci de rejoindre la voiture où nous attendait la tante, nous activions incommodément notre pas. De mon front que barrait la migraine, je n’extrayais pas une idée ; par contenance ou parce que ce geste pouvait tenir lieu de paroles, j’avais pris, tout en marchant, la main qu’Alissa m’abandonnait. L’émotion, l’essoufflement de la marche, et le malaise de notre silence nous chassaient le sang au visage ; j’entendais battre mes tempes ; Alissa était déplaisamment colorée ; et bientôt la gêne de sentir l’une accrochée à l’autre nos mains moites nous les fit laisser se déprendre et retomber chacune tristement.

Nous nous étions trop hâtés, et arrivâmes au carrefour bien avant la voiture que, par une autre route et pour nous laisser le temps de causer, la tante faisait avancer très lentement. Nous nous assîmes sur le talus ; le vent froid qui soudain s’éleva nous transit, car nous étions en nage. Alors nous nous levâmes pour aller à la rencontre de la voiture… Mais le pire fut encore la pressante sollicitude de