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UNE BELLE VUE 499

qui se passait et se disait dans l'entourage, il allait jusqu'à le questionner.

On connut donc par M. Servonnet la manière de voir de M. de Chaberton, mais l'aimable vieillard n'était pas de ceux qui jettent l'huile sur le feu, du moins volontaire- ment :

— Vous auriez bien tort d'en vouloir à ce pauvre Chaberton, disait-il... Il n'est pas méchant pour un sou, mais. . .

Et, tout en mâchant de la bouillie à coups de ganache, ce qui était sa façon de rire, il se touchait le front de l'index.

Evidemment, c'était là jusqu'à un certain point l'excuse de M. de Chaberton. Je me rappelais que mon père avait jadis dit de lui qu'il le croyait un peu braque. Mais mon père ne s'était pas en vain laissé prendre à ses chaleu- reuses démonstrations ; froissé par son lâchage et par ses procédés, il ne les pardonnait sous aucun prétexte. Il déclara amèrement que l'amitié n'est qu'un mot. Et comme M. Servonnet, l'ami de tout le monde, réclamait contre cette proposition, il consentit à rectifier :

— J'ai eu en effet un ami... un vrai... un seul... Et il tomba en mélancolie.

Ces accès de mélancolie, une irritabilité croissante, une aigreur perpétuelle témoignaient combien il était profon- dément affecté. Cela pouvait paraître étrange de la part d'un pessimiste comme lui, qui aurait dû, comme il le répétait sans cesse, compter toujours sur le pire. Il avouait par là que son pessimisme, tout de surface, n'avait jamais été que le fait de la maladie et de l'instinct, non de l'expérience. Il était trop bon, trop juste, trop naïf, pour

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