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460 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

du pain. Il était sept heures, l'heure à laquelle ils mangeaient d'habitude. Elle ne pouvait se décider à poser le pain simplement, parmi les poires, auprès du fromage. Elle allait à la fenêtre, elle le regardait, elle l'approchait de ses yeux, elle le tâtait, elle le touchait successivement avec chacun des cinq doigts de sa main droite, puis elle le sentait. Elle en sentait la mie, elle en sentait la croûte, elle revenait sur sa première impression pour le sentir encore ; quand elle l'avait bien senti, elle réfléchissait pendant un temps pour être bien sûre qu'elle ne s'était pas trompée.

Elle disait ensuite :

— C'est du bon pain, mais je n'ai pas le cœur à en manger.

L'enfant se fût peut-être laissé aller à la joie, à cause des poires, mais il n'osait pas avoir d'autres sentiments que ceux que lui montrait sa mère. Certes il mangeait puisqu'il avait faim, mais il avait un peu honte d'avoir faim, il s'essayait à ne pas faire de bruit en avalant les bouchées que, timidement, il portait à sa bouche. Quand il avait fini son premier morceau de pain, pour tout au monde il n'en eût pas accepté un second. Il lui venait sur la vie des idées extraordinaires, peut- être venaient-elles de ce qu'il avait marché tout le jour et de ce qu'il avait vu plus de choses qu'un enfant n'en doit voir. Lui qui ne parlait jamais, il semblait que le délire allait le prendre, il parlait :

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