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NOTES 42 I

contre-coup des espérances et des échecs, Daniel Halévy nous fait aborder l'œuvre, pour ainsi dire, par le dedans et son récit se développe si logiquement qu'il peut négliger presque d'ex- poser le contenu dogmatique de chaque livre, tant nous en est sensible la passion directrice.

Et ainsi soulevées du didactique au pathétique, que ces contradictions elles-mêmes, que ces incertitudes philosophi- ques grandissent la figure de Nietzsche ! Ses injustices, l'ou- trance de ses thèses ne sont plus que les sursauts d'un héroïsme pantelant. Il faut connaître sa déhcatesse, sa noblesse char- mante et sauvage pour mesurer la détresse et l'isolement qui lui ont arraché les cris d'orgueil exaspéré et les tragiques bravades d'Ecce Homo. Lui qui proclamera : " Avec un dithy- rambe comme celui qui termine la troisième partie de Zara- thoustra, j'ai volé à mille lieues au-dessus de ce qui s'est jamais appelé poésie ", c'est le même homme qui écrivait dans une lettre charmante à ]VP^^ de Meysenbug : " Mon avenir auquel j'atteindrai si je me donne beaucoup de peine, si j'ai un peu de bonheur et beaucoup de temps, c'est de devenir un écri- vain plus sobre, et d'abord et toujours plus de faire plus sobrement mon métier d'homme de lettres."

" Il Santo " disaient de lui les pauvres gens qui à Gênes habitaient les mansardes voisines de la sienne. Un saint effec- tivement, par la bonté, la simplicité, le courage qu'il lui fallut pour ne jamais accepter la paix intérieure en sacrifiant quel- que antinomie douloureuse de sa pensée. L'histoire anecdo- tique de Nietzsche n'est que celle de ses amitiés déçues : tragique solitude d'une pensée trop hardie que ses amis ne suivaient qu'avec réserve et méfiance. Même à l'égard de celui contre lequel il se retourna le plus violemment, Wagner, quels scrupules, quels relents de tendresse, quelle difficile rupture ! Et malgré tout, dans son ensemble, l'œuvre reste sereine, d'une sérénité péniblement conquise, sans récrimina- tions, presque, pourrait-on dire, sans amertume. Ne se nomme- t-il pas lui-même d'un mot touchant : " un homme à qui la vie n'a pas été cruelle quoiqu'il en soit venu à désirer mourir, "

Le livre de Daniel Halévy appartient à cette critique que

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