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UNE BELLE VUE 39 1

bitumiers. La machine grinçait, pétaradait, tremblait, crachait la fumée, mais ni les manœuvres compliquées du conducteur, ni l'efiFort des sept garçons de toutes tailles qui poussaient aux roues, ne déterminaient son déplace- ment.

L'opération était de trop grande importance pour que notre arrivée l'interrompît. Nous restâmes debout, à l'écart, dans l'attente respectueuse du miracle. De tous côtés, des têtes à bonnet apparaissaient aux fenêtres. La nouvelle invention de " Monsieur " faisait béer d'admira- tion les bonnes du logis. Le profil amaigri de ma tante, laquelle relevait de couches, se dessinait au bord d'un rideau soulevé. Je ne pus m'empêcher de songer à M. Tourneur, encore que du frère à la soeur la ressem- blance fût lointaine.

Le miracle ne se produisait point. Ce ne serait pas encore aujourd'hui que les voitures marcheraient toutes seules. Soudain, léger comme un jeune homme malgré ses soixante ans sonnés, mon oncle sauta à bas du siège, étendit son grand corps sur le sol, se coula entre les essieux. Il tripota longuement je ne sais quoi, puis, tout poudreux, congestionné, les mains huileuses, se releva. Il dit avec certitude :

— Je sais ce que c'est.

Sur quoi, il daigna s'apercevoir de notre présence. Il nous accueillit sans enthousiasme, de son air supérieur et distant. Mon père et lui s'en allèrent ensuite causer à l'écart sous le couvert des platanes.

Je ne les perdais pas de vue, tandis que mes cousins, me traitant, humble profane, en quantité négligeable, émettaient tous à la fois leur opinion, et tournaient

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