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UNE BELLE VUE 383

Lorsque maman prévint Octavie d'avoir à débarrasser son buffet, afin qu'Auternaud, l'homme de peine, qui venait le lendemain en journée, pût le porter chez M. de Chaberton, on entendit de belles clameurs. Octavie avait longtemps servi chez bon-papa avant de passer à nos gages ; elle se croyait des droits sur Longval bien supé- rieurs aux nôtres. Arracher de sa cuisine — et pour le donner ! — un meuble qu'elle y avait connu de toute éternité, autant disposer de son propre bien. En face d'un pareil agissement, elle se demandait ce qui la retenait de rendre son tablier. Jamais on n'eût rien vu d'ap- prochant du vivant de M. Aubineau ! Elle ne voulait rien dire de M. Chaberton le fils, mais tout le monde savait que M. Chaberton père n'était pas grand'chose...

Elle abusait de son franc parler. Il fallut lui imposer vertement silence, sur quoi ce furent des larmes et des jérémiades à n'en plus finir.

Le lendemain, Auternaud enleva le bahut dans ses bras musclés et velus, le chargea en travers d'une brouette, et en route ! J'assistais à l'opération, quand survinrent les cousins Becquet. Ils arrivaient, comme d'habitude, à pied de Charlemont, n'ayant pas les moyens de prendre fiacre. Ils étaient tout suants, poudreux, fourbus. Une visite dans des conditions pareilles ne ressemblait guère à une partie de plaisir. Mais les parents pauvres passent par bien d'autres épreuves ! Je vois encore M. Becquet, accouru à la nouvelle de la mort de bon-papa, demander anxieu- sement à mon père : " Il ne nous a rien laissé ? " et apprendre, de quel visage ! qu'il n'était pas fait mention de lui dans le testament.

Le cousin Becquet n'était pas né chançard. Il avait

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