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3IO LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

lignait la particule avec une intonation ironique ; et maman souriait, car son bon sens clairvoyant n'allait pas sans quelque malice.

Il y avait en effet lieu de sourire pour qui avait connu dans le temps M. Chaberton tout court. A la suite de son mariage avec la fille d'un petit hobereau, il s'était conféré le " de ". On racontait même qu'aux Eaux, non content de joindre au sien le nom de sa femme, il usurpait tranquillement un titre ; le comte et la comtesse Chaberton de Serigny avaient figuré sur une liste de baigneurs. Il n'osait pas encore s'anoblir à fond parmi ses compatriotes, mais patience... En attendant, il portait au petit doigt une chevalière armoriée. Le plus drôle, c'est que l'imagination, qu'il avait folle, aidant, il oubliait totalement sa roture avérée, croyait de bonne foi appar- tenir à la plus haute société, " pensait " en conséquence, et ne citait dans la conversation que ducs, marquis et barons. Il n'était pourtant rien plus que fabricant de tulle, et quant à la " branche ", ne prêtait aucunement à la méprise. Il subissait en tout cela l'influence de sa noble moitié, laquelle avec son grand nez, sa maigreur, son col de cigogne, ses regards de haut en bas, passait pour une beauté aristocratique. Afin que nul n'ignorât de ses origines et de ses prétentions, elle exhibait toujours, comme une enseigne, une broche, or et perles, en forme de couronne comtale.

En fréquentant la maison avec une assiduité presque indiscrète, les de Chaberton pensaient évidemment à " épater " mes parents; ils ne se doutaient pas com- bien avec ces derniers tous ces embarras prenaient peu. Mais je soupçonne qu'ils nous honoraient aussi de leur

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