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UNE BELLE VUE 287

froid que d'ardeur. Et elle était infatigable ! On n'eût jamais soupçonné autant de robustesse et d'endurance chez cette petite femme si menue. Elle vous soulevait, au besoin, n'importe quoi de plus gros qu'elle. A midi, lorsqu'elle se mettait à table, sa toilette faite, rien ne paraissait sur son joli visage de la peine extrême qu'elle avait prise. Et sa fraîcheur était d'une jeune fille, encore qu'une patte d'oie s'élargît aux coins de ses pau- pières et que sa blondeur pâle tournât au gris sur les tempes. Elle se reposait dans la victoire, humait l'air purifié, promenait des regards heureux sur les bois miroi- tants, sur les glaces claires, sur les cuivres qui étin- celaient, et elle disait invariablement à son mari :

— Tu ne te figures pas dans quel état se trouvait l'appartement.

Lui, qui était rentré en se plaignant, l'hiver que l'on gelât, l'été que l'on cuisît, répondait par un haussement d'épaules.

— Ah, les hommes ne savent pas ! reprenait maman, avec un accent de douce pitié.

Evidemment, " les hommes ne savent pas, " car moi- même, en mon for de bambin, je me demandais com- ment un logis si surveillé, et justement réputé pour sa bonne tenue, pouvait bien se trouver en pareil état.

Il semblait que mon père, féru d'hygiène comme il l'était, eût particulièrement dû s'accorder avec sa femme sur le chapitre de la propreté. Mais il avait ses théories : il prétendait que les balayages ne servent qu'à déplacer la poussière et à mettre les microbes en sus- pension. Or les microbes étaient ses ennemis particuliers: il en voyait partout. Et puis, il était conservateur :

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