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2 54 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

ma faiblesse. Je suis réenvahi par la netteté glaciale de ce monde sans volume et sans présence.

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��Quand les premiers hommes au sein des forêts primi- tives allumaient le feu du soir pour éloigner les fauves, quand ils surprenaient danser dans les clairières d'épou- vantables merveilles, quand au regard qu'ils plongeaient, en Y rassemblant toute leur âme, dans le mur des ténèbres, bougeaient de silencieuses formes inconnues, quand le tonnerre charriait des dieux, alors le monde était vivant. Le grand ancêtre s'avançait, escorté de souffles et d'atten- tes, guetté par les détours et tout couronné de périls ; dans l'ombre sur ses pas se tassaient des faims sans visage dont son courage sans cesse tendu contenait seul l'im- patience. Mais l'aube était une écluse qui s'ouvre ; il en sentait sur ses épaules couler la candeur liquide, et de ses bras levés, il en prolongeait sur toute sa nudité le baptême. Apparition entre les arbres des lacs fleuris, sillonnés de croupes monstrueuses et où s'abat le vol d'oiseaux blancs portant leurs longues fines pattes suspendues. Sommets que baigne un vent si pur qu'il est acide et d'où ne s'aper- çoit que l'ondulation indéfinie des forêts. Courses sur les chemins de liane, balancements et suspensions, glissades au flanc tiède des rocs, ruissellement, sur la peau, des eaux traversées, rencontre soudaine d'une brise qui se lève. Fleuve qui s'ouvre brusquement sous les pas et passe, muet, tout d'une pièce, avec des feuilles et des branches dressées comme des bras hors de l'eau. Combats lointains des grands animaux autour de la fontaine, et silences

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