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LA PORTE ÉTROITE 89

bien, disait-il en m'embrassant encore. — Seulement, promets-moi: pas un mot de tout ça à Alissa. Je prétends mener mon affaire tout seul. Juliette est prise ; c'est certain ; et assez pour que j'ose la quitter jusqu'aux pro- chaines vacances. Je pense même ne pas lui écrire d'ici là. Mais, le congé du nouvel an, toi et moi nous irons le passer au Havre, et alors. . .

— Et alors ?. . .

— Eh bien ! Alissa apprendra tout d'un coup nos fiançailles. Je compte mener ça rondement. Et sais-tu ce qui va se passer ? Ce consentement d'Alissa, que tu n'es pas capable de décrocher, je te l'obtiendrai par la force de notre exemple. Nous lui persuaderons qu'on ne peut célébrer notre mariage avant le vôtre...

Il continuait, me submergeait sous un intarissable flux de paroles qui ne s'arrêta même pas à l'arrivée du train à Paris, même pas à notre rentrée à Normale, car, bien que nous avions fait à pied le chemin de la gare à l'Ecole, et malgré l'heure avancée de la nuit, Abel m'accompagna dans ma chambre où nous prolongeâmes la conversation jusqu'au matin.

L'enthousiasme d'Abel disposait du présent et de l'avenir. Il voyait, racontait déjà nos doubles noces ; imaginait, peignait la surprise et la joie de chacun : s'éprenait de la beauté de notre histoire, de notre amitié, de son rôle dans mes amours. Je me défendais mal contre une si flatteuse chaleur, m'en sentais enfin pénétrer et cédais doucement à l'attrait de ses propositions chiméri- ques. A la faveur de notre amour, se gonflait notre ambition et notre courage : à peine au sortir de l'Ecole, notre double mariage béni par le pasteur Vautier, nous

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