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LA PORTE ÉTROITE 85

par l'inflexion de sa voix l'aiguillon de sa réprimande : — et c'est bien là ce qui me fâche. Pourquoi as-tu mal pris ce que je disais ? c'était pourtant bien simple...

(Et déjà tristesse et difficulté ne réapparaissaient plus en effet qu'imaginaires, n'existaient plus qu'en mon esprit.) Nous étions heureux ainsi, je te l'avais bien dit ; pour- quoi t'étonner que je refuse lorsque tu me proposes de changer.

En effet, je me sentais heureux auprès d'elle, si parfai- tement heureux que ma pensée allait chercher à ne diffé- rer plus en rien de la sienne ; et déjà je ne souhaitais plus rien au-delà de son sourire et que de marcher avec elle, ainsi, dans un tiède chemin bordé de fleurs, en lui donnant la main.

— Si tu le préfères, lui dis-je gravement, résignant d'un coup tout autre espoir, et m'abandonnant au parfait bonheur de l'instant — si tu le préfères, nous ne nous fiancerons pas. Quand j'ai reçu ta lettre, j'ai bien compris du même coup que j'étais heureux en effet, et que j'allais cesser de l'être. Oh ! rends-moi ce bonheur que j'avais ; je ne puis pas m'en passer. Je t'aime assez pour t'attendre toute ma vie ; mais, que tu doives cesser de m'aimer ou que tu doutes de mon amour, Alissa, cette pensée m'est insupportable.

— Hélas ! Jérôme, je n'en puis pas douter — et sa voix en me disant cela était à la fois calme et triste ; mais le sourire qui l'illuminait restait si sereinement beau que je prenais honte de mes craintes et de mes protesta- tions ; il me semblait alors que d'elles seules vînt cet arrière son de tristesse que je sentais au fond de sa voix. Sans aucune transition je commençai à parler de mes

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