Page:NRF 1909 1.djvu/86

Cette page n’a pas encore été corrigée

82 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Assise assez loin de nous, dans un coin, près d'une fenêtre, elle paraissait toute absorbée dans un ouvrage de broderie dont elle repérait les points en remuant les lèvres. Abel parlait ; heureusement ! car, pour moi, je ne m'en sentais pas la force, et sans les récits qu'il faisait de son année de service et de son voyage, les premiers in- stants de ce revoir eussent été mornes. Mon oncle lui- même semblait particulièrement soucieux.

Sitôt après le déjeûner Juliette me prit à part et m'en- traîna dans le jardin ;

— Figure-toi qu'on me demande en mariage ! s'écria- t-elle dès que nous fûmes seuls. La tante Félicie a écrit hier à Papa pour lui faire part des avances d'un viticul- teur de Nimes ; quelqu'un de très bien, afErme-t-elle, qui s'est épris de moi, pour m'avoir rencontrée quelque- fois dans le monde ce printemps.

— Tu l'as remarqué, ce monsieur ? interrogeai-je avec une involontaire hostilité pour le prétendant.

— Oui, je vois bien qui c'est. Une espèce de Don Quichotte bon enfant, sans culture, très laid, très vul- gaire, assez ridicule et devant qui la tante ne pouvait garder son sérieux.

— Est-ce qu'il a... des chances ? dis-je, sur un ton moqueur.

— Voyons, Jérôme! Tu plaisantes! Un négociant!... Si tu l'avais vu, tu ne m'aurais pas posé la question.

— Et... qu'est-ce que mon oncle a répondu ?

— Ce que j'ai répondu moi-même : que j'étais trop jeune pour me marier... Malheureusement, ajouta-t-elle en riant, ma tante avait prévu l'objection ; dans un post- scriptum elle dit que Monsieur Edouard Teissières, c'est

�� �