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LA PORTE ÉTROITE 79

sans doute elle sentit que j'y pensais, et, comme une réponse à ma pensée dit en me regardant fixement :

— Tu te méprends, mon ami : je n'ai pas besoin de tant de bonheur. Ne sommes-nous pas heureux ainsi ?

Elle s'efforçait en vain à sourire.

— Non, puisque je dois te quitter.

— Ecoute Jérôme, je ne puis te parler ce soir... Ne gâtons pas nos derniers instants... Non ; non. Je t'aime autant que jamais ; rassure-toi. Je t'écrirai ; je t'expli- querai. Je te promets de t'écrire, dès demain... dès que tu seras parti. — Va maintenant ! Tiens, voici que je pleure... laisse moi.

Elle me repoussait, m'arrachait d'elle doucement — et ce furent là nos adieux, car ce soir je ne pus plus rien lui dire, et le lendemain, au moment de mon départ elle s'enferma dans sa chambre. Je la vis à sa fenêtre me faire signe d'adieu en regardant la voiture qui m'emportait s'éloigner.

III.

Je n'avais presque pas pu voir Abel Vautier cette année ; devançant l'appel il s'était engagé, tandis que je préparais ma licence en redoublant une rhétorique. De deux ans moins âgé qu'Abel, j'avais pu obtenir de remet- tre mon service à la sortie de l'Ecole Normale où tous deux nous devions entrer cette année.

Nous nous revîmes avec plaisir. Au sortir de l'armée il avait voyagé plus d'un mois. Je craignais de le trouver changé ; simplement il avait pris plus d'assurance mais sans rien perdre de sa séduction. L'après-midi qui précéda la rentrée et que nous passâmes au Luxembourg, je ne

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