j6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
voyager. Elle m'a dit qu'elle ne souhaitait rien, et qu'il lui suffisait de savoir que ces pays existaient, qu'ils étaient beaux, qu'il était permis à d'autres d'y aller
— Toi, Jérôme, tu désires voyager ?
— Partout ! La vie tout entière m'apparaît comme un long voyage — avec elle, à travers les livres, les hommes, les pays... Songes-tu à ce que signifient ces mots : Lever l'ancre. ?
— Oui ; j'y pense souvent, murmura-t-elle ; mais moi qui l'écoutais à peine et qui laissais tomber à terre ses paroles comme de pauvres oiseaux blessés, je reprenais :
— Partir la nuit ; se réveiller dans l'éblouissement de l'aurore ! se sentir tous deux seuls sur l'incertitude des flots. . .
— Et l'arrivée dans un port que tout enfant déjà l'on avait regardé sur les cartes; où tout est inconnu... Je t'imagine passant sur la passerelle, descendant du bateau, avec Alissa appuyée à ton bras.
— Nous irions vite à la poste, ajoutai-je en riant, réclamer la lettre que Juliette nous aurait écrite. . .
— De Fongueusemare où elle serait restée, et qui vous apparaîtrait tout petit, tout triste et tout loin...
Sont-ce là précisément ses paroles ? je ne puis l'affirmer, car, je vous le dis, j'étais si plein de mon amour qu'à peine entendais-je, auprès, quelque autre expression que la sienne.
Nous arrivions près du rond-point; nous allions revenir sur nos pas, quand, sortant de l'ombre, Alissa se montra tout à coup. Elle était si pâle que Juliette se récria.
— En effet, je ne me sens pas très bien, balbutia hâti- vement Alissa. L'air est frais. Je crois que je ferais mieux
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